Une jolie initiative d’un été culturel dans un cloître du Gers. Un groupe d’artistes Minimal St Cecilia, interprétant des compositions d’Eloi Baudimont. La configuration laisse à surprendre. Une vingtaine de cercles sont disposés dans l’ensemble du lieu parmi lesquels le public est invité à déambuler sous les sons d’un métronome. Chaque cercle exprime une facette de l’artiste qui viendra l’occuper : l’un de petits canards colorés, l’autre des partitions anciennes, ou de petits découpages, des morceaux de bois flotté, des lettres de l’alphabet, des perles de céramique… Cette présentation hétéroclite préfigure déjà le puzzle qui va se dessiner sous mes yeux et dans mon cœur.
Les musiciens et chanteurs s’installent dans leurs cercles et entament le concert. Je déambule ou m’arrête afin d’explorer les sensations que me procure cette expérience originale et stimulante : une immersion au cœur de l’orchestre, chants et instruments me traversant au gré de mon trajet. Je découvre parmi cette assemblée d’une cinquantaine de personnes, des êtres qui ont habité mes trois vies dans le Gers, terre où je me suis établie il y aura 40 ans en 2025. Ma première vie établissant un couple et une famille, ma deuxième vie lorsque je devins directrice d’une structure socio-culturelle et ma troisième vie, à l’ouverture de mon cabinet de thérapeute.
Les deux premières vies me font signe de loin, derrière, fondues dans une forme de brouillard diffus qui ne vient plus me toucher dans mon intime d’aujourd’hui. Une ancienne bénévole d’Amnesty International, association que je dirigeai localement. Des partenaires avec lesquels j’ai collaboré pour le développement du Bureau d’Information Jeunesse que j’ai créé. Une ancienne amie dont la relation était devenue maltraitante. Ils ne m’ont d’ailleurs pas reconnue…
Je me sens par contre éveillée dans mon cœur par les personnes que j’ai accompagnées à se guérir. Elles sont toutes arrivées dans une tempête intérieure, leur embarcation tellement malmenée ! Nous avons co-tissé une corde solide, épaisse, constituée de nos rencontres et expériences dans le lien thérapeutique. Je les regarde déambuler : elles vont bien ! Je ressens que cette ancienne corde s’est transformée en un fil presque invisible et indestructible en même temps, entre nos cœurs. Des vagues me reviennent des moments si intenses de nos partages. Je pleure de joie tout en traversant une forme de vertige ! Ce métier que j’incarne depuis plus de vingt ans, me convoque à un indicible : cet espace sacré où ces personnes ont déposé leur profondeur, m’ont honorée en me faisant confiance, où j’ai offert l’entièreté de ma présence, de mon écoute et de mon Amour inconditionnel, leur servant tout à la fois de phare et de point d’appui pour se réparer et se reconstruire. Elles voguent désormais, justement étrangères à mes émotions.
Je déambule avec la trompette, le tambour, le xylophone, sur ce fil du cœur. Je remercie la Vie ainsi que ces artistes pour ces instants éphémères et puissants croisant les fils de notre humanité dans la cour de ce cloître, un soir d’été 2024.
Bianca Saury
Juillet 2024
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